Les 8 et 9 novembre derniers, Freestudios et Marquise Technlogies, en partenariat avec Visuals Switzerland et Aaton, ont organisé un événement intitulé « Raw postproduction workshop » qui a attiré pas moins de 70 personnes, de Suisse, de France, d’Allemagne et de Belgique. Le programme était le suivant:
Un essai comparatif des meilleures caméras de cinéma numérique du moment: l’Arri Alexa, la Red Epic, la Sony F65 et l’Aaton Delta (pas encore disponible), de la prise de vue jusqu’à la projection en DCP (Digital Cinema Package) en 2K.
La présence de l’Aaton Delta, accompagnée par son créateur, Jean-Pierre Beauviala, et la directrice de la photographie, Caroline Champetier, ont créé l’exclusivité de cet événement et certainement la raison du nombre de personnes présentes. Avant d’aller plus loin, j’aimerais chaudement remercier les organisateurs et les techniciens qui ont rendu l’événement possible. C’est une grande chance et une opportunité rare que de pouvoir comparer côte-à-côte 4 caméras haut de gamme comme celles-ci. Ce fut instructif sur de nombreux aspects. Cela a démontré qu’il est encore et toujours difficile de faire des tests de manière objective et d’obtenir des données précises, sur lesquelles s’appuyer. La première difficulté est, et cela a été mentionné plusieurs fois, que le cinéma numérique est encore à un âge infantile, une dizaine d’années à peine, contre les plus de cent ans d’histoire de la pellicule. De ce fait, les caméras ne cessent d’évoluer, d’être dépassées, remplacées, par d’autres modèles. Aussi, l’approche des fabricants diffère, tant au niveau de la conception, de l’ergonomie, de la clientèle visée, que du business plan et du marketing.
Quelques mots sur les caméras testées, sans entrer dans les spécificités techniques qu’on trouve aisément sur internet :
La Red Epic, sortie à la mi-2011, évolution de la Red One sortie fin 2007. Utilise un capteur Bayer CMOS de 13.8 MP (5K plus précisément 5120 x 2700) avec un système de visée électronique. Elle aura l’option d’être mise-à-jour avec un nouveau capteur, le « Dragon », avec plus de résolution (6K) et de dynamique, attendu pour début 2013.
Le modèle standard de l’Arri Alexa, sortie en avril 2010, a un capteur Bayer CMOS de 4.6 MP (2.8K plus précisément 2880 x 1620) et un système de visée numérique sur les modèles standard et plus, ou un système de visée optique sur le modèle Studio. Elle enregistrement en interne en ProRes (et DNxHD depuis peu grâce a une mise-à-jour du firmware de la caméra). Elle nécessite un enregistreur externe (Codex ou Gemini) pour enregistrer les données raw. Malheureusement, l’enregistreur Arri Raw est arrivé trop tard pour les tests caméras, elle a donc été utilisée en ProRes (444 C-Log). A noter que c’est ainsi que l’Alexa est le plus couramment utilisée.
La Sony F65, a un capteur Bayer CMOS à 45 degrés, de 17.7 MP (8K selon certains document Sony, car en inclinant leur capteur à 45 degrés les photo-sites ne sont plus alignés verticalement et horizontalement, ils comptent donc plus de pixels horizontaux pour arriver à 8K, et moins de verticaux, seulement 2K, pour une résolution réelle de 8192 x 2160). La F65 est équipées d’un viseur électronique et il existe deux modèles, dont un avec un obturateur mécanique. Note, 10 jours avant le workshop, Sony ont annoncé deux nouvelles caméras de cinéma numérique, la F5 et la F55, ils annoncent cette dernière comme complémentaire de la F65, mais je pense qu’elle va plutôt la remplacer 19 fois sur 20, et il y a fort à parier que Sony ne va plus vendre beaucoup de F65, voir pourquoi plus bas.
L’Aaton Delta, plus précisément un prototype, les premiers modèles de série étant attendus pour début 2013 ; utilise un capteur Bayer CCD de 6.9 MP (3.5K, précisément 3512 x 1960) avec un viseur optique et un obturateur mécanique. Il manquait sur la caméra un filtre infrarouge interne, dont toute caméra doit être équipée ; ainsi que le système permettant la vibration du capteur qui n’était pas encore fonctionnel, mais semble très prometteur. Une autre innovation est un système de lames dans l’obturateur mécanique, permettant de diminuer la luminosité sur le capteur et d’éviter d’utiliser des filtres ND, donnant ainsi à la caméra deux ISO natives de 800 et 100. Malgré cela, elle s’est montrée supérieure sur de nombreux points face aux autres modèles testés, voir plus loin.
Jeudi 9 après-midi :
Le workshop a débuté avec une présentation de chaque caméra : spécifications, utilisation & ergonomie. Beaucoup de temps fut alloué à la Delta, tout le monde avait à cœur de découvrir la caméra iséroise. Je reviendrais peut-être ultérieurement sur les aspects physiques/l’ergonomie des caméras, mais pour l’instant je préfère me concentrer sur la suite.
Complément du 25 nov. sur l’ergonomie des caméras. Les assistants cam qui ont travaillé sur les test ont faits des retours sur leurs expériences, lors des tests et précédemment, pour ceux qui en avait déjà pris en main certaines des caméras présentes.
– De nombreuses critiques sur la F65, encombrante de par sa forme (haute et large), lourde et encombrée avec toutes ses commandes côté opérateur (gauche caméra) au lieu du côté assistant (droite caméra).
– L’Alexa est très appréciée car elle intègre une épaulière et des fixations pour tiges de 15mm, dans sa version Plus (pas celle testée) permet la réception HF pour moteurs. Les menus de l’Alexa sont simples et facile d’accès. Plusieurs remarques fut mentionnée, en raison du poids de la caméra et de l’épaulière intégrée. L’équilibrage de l’Alexa lors de l’utilisation de longues focales est assez laborieux en raison de l’excédant de poids résultant sur l’avant.
– La Delta, fidèle au dicton du créateur d’Aaton, garde le concept du « chat sur l’épaule » en intégrant une épaulière finement conçue et bien placée. La caméra est très légère, l’équilibre s’en ressent. Peu de personnes ont déjà acquis une expérience avec la Delta, en tout cas sur le front. Quoi qu’il en soit, les menus sont accessibles et semblent simple. Le système de mise en place des lames pour réduire la lumière atteignant le capteur, nécessite actuellement d’enlever l’optique et d’actionner un verrou mécaniquement à l’aide d’une clé intelligemment rangée dans la poignée de la caméra. Cette manipulation n’étant pas pratique sur le terrain, Aaton prévoit un système permettant d’activer cette option via un bouton qui ne nécessitera ni clé, ni d’ôter l’objectif et d’exposer le capteur plus que nécessaire. Aaton à opter pour un système de ventilation avec des ventilateur de grandes tailles, permettant de tourner plus doucement et donc de faire moins de bruits. Ils ont aussi opté pour un système de ventilation continu, où il n’y pas de différence de puissance entre le mode « stand-by » et en enregistrement, ce qui est le cas sur l’Epic et l’Alexa (je ne sais pas ce qu’il en est pour la F65, j’ai malheureusement du partir en fin de journée et n’ai pas eu plus de détails sur ce modèle).
– L’Epic est basée sur un concept modulaire, son corps caméra est très compact et cela lui permet d’être configurée / adaptée de nombreuses manières, selon les besoins / types de tournage. Cet avantage peut également s’avérer être un inconvénient lorsqu’on nécessite de nombreux compléments qui finissent par faire de l’Epic un « sapin de Noël », liés aux nombreux ajouts d’élément et de câblage pour relier et alimenter l’ensemble. Red bien conscient de se problème, sont en train de développer petit à petit des module. Il faut ici se rappeler que cette caméra est sortie il y a tout juste un an, conçue dans le but d’être parfaitement modulable via une connectique physique ne nécessitant aucun câbles. Pour le moment, seulement quelque modules sont disponibles, des modules d’alimentation, un module pour le support de l’enregistrement et un module avec des options supplémentaires d’entrées et sorties. Cependant, ils ont présenté au salon IBC en septembre dernier le « Meizler module », voir notre descriptif ici. En bref c’est un module tout-en-un qui va permettre de rajouter un grand nombre de fonctionnalités (réception HF pour: moteurs, son et TC ; transmission HF de vidéo HD ; enregistrement en temps réel et simultanément au raw, de fichiers ProRes, h264 ou DHxHD ; seconde sortie EVF/LCD ; alimentation pour Cinetape et autres accessoires ; pilotage par iPad avec une application dédiée permettant de faire des listes de plans par jours, avec tous les détails techniques et l’ajout de commentaires personnalisés) le tout en gardant la caméra compact et élancée, je dirais même en améliorant son équilibre pour l’utilisation à l’épaule.
Vendredi 8 matins :
Une présentation du système de visionnage des rushs on-line de 101Media. Suivit d’une présentation technique des différentes technologies de capteurs, notamment la différence entre les capteurs CMOS qui équipent les Epic, Alexa et F65 vs. le CCD qui équipe la Delta, plus d’infos à ce sujet quand j’aurais le temps…
Pour finir la matinée, nous avons eu une présentation d’ACES (Academy Color Encoding Specification) et son utilisation dans la chaîne d’étalonnage. Ce programme est encore embryonnaire, mais prometteur, malheureusement pas (encore) adopté par tous les fabricants (de caméras). Ce fut très complet et instructif.
Vendredi 8 après-midi :
À la projection des images tests tant attendue, ma première impression fut que finalement, ces tests ont une valeur toute relative. Je m’explique. Nous testions une caméra qui évoluera bientôt (Epic MX), une caméra bientôt remplacée (F65), une caméra dont on ne pouvait tirer parti de sa qualité d’enregistrement optimale (Alexa) et un prototype (Delta), certes quasiment final.
Mais surtout, toutes ces caméras enregistrent dans des formats différents : l’Epic en Red Raw (dans le cadre de ce test en 4:1), l’Alexa en ProRes 444 Log C, la F65 en S-log et la Delta en Cinema DNG. La question vient naturellement, quel est le workflow idéal pour chacun de ces formats ? Comment comparer équitablement/véritablement les images, car à part le Cinema DNG linéaire de la Delta, toutes les autres caméras enregistrent dans un format avec un traitement optimisé pour conserver un maximum d’informations tout en étant destiné à être étalonné. Mais dès lors qu’on étalonne, il est difficile de savoir quelle est la qualité intrinsèque de l’image enregistrée, mais si on étalonne pas, difficle de savoir quel est le potentiel de l’image/caméra. Dans le cas de ce workshop, l’étalonneur, Boris Rabusseau de Freestudios, a tenté de sortir une image avec le moins de retouches possible, simplement en ajustement les points noir et blanc et éventuellement tirer un peu les courbes pour retrouver un peu de contrats, (les courbes S-log et Log C ayant pour but de conserver les informations dans les basses et hautes lumières en décontrastant l’image).
Donc, certaines images devaient être retravaillées, à partir de là, est-ce que le workflow utilisé a été celui permettant de tirer le meilleur parti de tel ou tel format ? Ayant de l’expérience avec le format Red Raw, je peux m’exprimer sur ce dernier. Pour convertir les images Red Raw en un format RGB, il faut utiliser les outils Red, soit leur application, RedCine, ou leur SDK (software developer kit) dans une application compatible. Dans le cadre de ce workshop, Rain, de Marquise Technologies, était le logiciel d’étalonnage utilisé. Une série d’options est disponible : un réglage Gamma : 1, 2 ou 3 et une conversion couleur : RedColor 1, 2, 3, RedLog ou RedLog Film ; selon la combinaison choisie, les images peuvent avoir une apparence complètement différentes. Les options RedLog, vont donner des images désaturées, à l’image des formats log de la F65 ou de l’Alexa, les combinaisons RedGamma et RedColor, vont donner des variétés d’images et de rendus couleur. Enfin, tout cela pour dire qu’il est difficile dans tous les cas de comparer les images en sortie de post-production. Est-ce qu’il faut essayer de les retoucher un minimum, ou au contraire les retravailler pour voir ce qu’on peut en faire, car finalement, ces images ne seront jamais vues avec un minimum de retouches ? Je n’ai pas de réponse à cette question…
Pour conclure :
D’une part, l’Alexa en ProRes ne se mesurait pas aux autres caméras, il en aurait peut-être été autrement si nous avions pu la tester en ArriRaw, mais on peut quand même noter qu’elle est celle dont le capteur avait la résolution la moins élevée, 2.8K utile en l’occurrence. A l’heure du 4K, c’est largement en dessous de ce qu’on peut attendre d’Arri, qui dans un rapport qu’ils ont eux-même publié, souligne l’importance du 4K. Elle n’en reste pas moins une caméra très capable, mais en comparaison de ses rivales présentes, ses images avait moins de dynamique et un moins bon rendu des couleurs.
On peut également dire que la Delta présentait sur de nombreux points, dont l’ergonomie, mais surtout l’image, une qualité supérieure aux autres caméras. D’une part c’est la seule sur laquelle il n’était pas nécessaire de retravailler les images, car elle enregistre dans un format ouvert (le cinema DNG) en linéaire, par contre cela pèse 1 To pour 50 minutes! Cependant le rendu était, entre ces caméras, légèrement au-dessus, dans la dynamique et le rendu des couleurs.
Finalement, entre l’Epic et la F65, au niveau image les avis étaient quelque peu divergents, certains trouvaient que la F65 était supérieur, alors que d’autres, dont Boris Rabusseau et moi-même, avions l’impression que l’Epic avait légèrement le dessus par rapport à sa concurrente. Par contre, au niveau de l’utilisation et ergonomie, tout le monde s’accordait à dire que la Red grâce à son gabarit très compact et sa modularité, s’adaptait mieux aux utilisations variées.
Faute de temps, je m’en tiens là pour l’instant, je viendrais étoffer cet article petit à petit dans les prochains/es jours/semaines.
La discussion continue sur le Forum de Marquise Technologie. Elle est destinée en priorité aux participants de ce workshop. Pour y accéder, veuillez utiliser le lien. En revanche pour participer à la discussion, il faut vous inscrire en utilisant votre vrai nom et être admis par les administrateurs du Forum de Marquise Technologie.
Auteur Damien
Compléments Corentin